Apprivoiser le critique intérieur : qu’il soit le vôtre… ou non
Par Sophie Makonnen
Critique intérieure, doute de soi, faible estime de soi, syndrome de l’imposteur…
Une pléthore de termes liés à la confiance en soi et à la façon dont on se présente au monde, des termes que nous connaissons désormais très bien. On les retrouve dans des articles, des conversations, des balados et, oui, même dans des infolettres comme celle-ci. Peut-être un peu galvaudés, parfois mais pour de bonnes raisons. Parce que la plupart d’entre nous ont déjà entendu cette voix intérieure. Celle qui surgit sans qu’on l’ait invitée, souvent au pire moment : avant une présentation importante, lorsqu’on essaie quelque chose de nouveau ou juste après avoir franchi une étape significative, alors qu’on cherche encore ses repères et qu’on se demande si on a vraiment sa place.
Mais si le but n’était pas de faire taire cette voix complètement ? C’est justement ce que j’ai apprécié dans un article récent de Ron Carucci, Do not Don’t Silence Your Inner Critic. Talk, publié dans la Harvard Business Review. Il propose une approche différente : plutôt que d’essayer de faire taire le critique intérieur, il nous invite à lui parler — ou, à tout le moins, à le reconnaître. Comme l’éléphant dans la pièce, il est là. Alors, pourquoi ne pas se montrer curieux·se de ce qu’il essaie vraiment de dire… et pourquoi ?
Et honnêtement ? Avec le temps, cette voix finit par s’essouffler. Elle perd de sa vigueur. Elle se manifeste moins souvent ou avec moins d’intensité. C’est l’un des petits cadeaux que nous offrent l’expérience et le passage du temps.
Mais, en attendant, alors qu’on accumule encore les années et les apprentissages durement acquis, c’est quelque chose avec quoi beaucoup d’entre nous doivent composer.
J’ai apprécié cet article car il propose une perspective qui rejoint ce que nous explorons souvent en coaching : reconnaître et nommer ce qui se passe, ici et maintenant. Parfois, la première étape la plus efficace consiste simplement à nommer ce qui se passe. Cela semble simple, mais nous avons souvent tendance à passer outre la vérité du moment dans notre empressement à expliquer, rationaliser ou réparer. On ressent de l’anxiété, mais on se précipite dans la résolution de problème sans nommer la peur. On sent la pression, mais on se concentre sur la tâche sans reconnaître le poids qu’on porte. Et on finit par réduire tout cela à une seule histoire.
Mais ce qui émerge dans l’instant n’est rarement qu’une seule chose. C’est souvent un mélange de réactions intérieures, tirant dans différentes directions.
En coaching, on prend souvent un moment pour observer ce qui se passe réellement à l’intérieur. Il est rare qu’une seule émotion soit présente. C’est souvent un mélange de réactions : une partie de soi veut foncer, une autre hésite ; une voix vise la perfection, tandis qu’une autre essaie de nous protéger de l’échec. Aucune de ces réponses n’est « mauvaise » — elles ont toutes leur raison d’être. Mais elles n’ont pas toutes besoin de tenir le volant.
Il fait également écho aux pratiques du Coaching narratif, où l’on apprend à séparer des histoires que nous racontons (ou dont nous avons hérité), afin de pouvoir choisir comment on réagit plutôt que de réagir automatiquement.
Dans le travail sur l’intelligence émotionnelle, cela fait partie du développement de la conscience de soi : apprendre à observer son dialogue intérieur et à passer des pensées automatiques à des réponses intentionnelles.
Le coaching ne s’attarde pas au passé, il se concentre sur le présent. Il vous aide à prendre conscience de ce qui se manifeste dans vos expériences quotidiennes, comme des schémas de pensée ou de décision et vous aide à choisir la façon dont vous voulez réagir et aller de l'avant, dans le respect de vos objectifs et de vos valeurs.
Nommer le critique intérieur ne le fait pas disparaître — mais cela lui enlève le pouvoir de diriger la situation.
L’article présente cinq stratégies concrètes qui font écho à ce que nous explorons souvent dans les conversations de coaching, des outils qui permettent de passer de l’autocritique à plus de clarté, de conscience de soi et d’élan pour aller de l’avant. En voici un bref résumé, selon les recommandations de l’auteur Ron Carucci.
🛠️ Cinq stratégies inspirées des pratiques de coaching
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Comprendre d'où vient la voix du critique (enfance, attentes culturelles, relations formatives).
L'auteur recommande d'écrire une courte "biographie" du critique intérieur pour prendre du recul.
Conseil : donnez un nom ou un personnage au critique pour créer une distance (par exemple, "l'exécuteur", "le petit moi qui essaie de survivre").
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Le critique peut avoir des préoccupations légitimes, mais il les exprime de manière destructive.
Posez la question suivante : "De quoi cette voix essaie-t-elle de me protéger (de l'échec, de la honte, du rejet) ?
Conseil : Écouter la voix avec curiosité plutôt qu'avec mépris.
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Une fois que vous avez compris le rôle du critique intérieur, essayez de l’extérioriser — imaginez-le comme un personnage avec une voix et un point de vue bien à lui.
Cela permet de passer d'un jugement automatique à une réflexion intentionnelle.
Conseil : Consigner un dialogue dans un journal peut révéler ce que le critique croit et craint.
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Remplacez la honte par un discours réaliste et bienveillant (et non par une positivité aveugle).
Reconnaissez les difficultés et réagissez comme vous le feriez avec un ami.
Conseil : Pratiquez la méthode "Name it and Nurture it" (nommez-la et nourrissez-la) - identifiez l'émotion et offrez des soins.
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Réécrire les messages de critique intérieure les plus courants pour en faire des messages de soutien.
Remplacez "Tu vas tout gâcher" par "Tu te sens sous pression parce que c'est important".
Conseil : Créez un tableau personnel pour recadrer les propos durs que vous tenez à votre égard en langage constructif.
Dans cet article récent de la Harvard Business Review, le critique intérieur n'est pas votre ennemi, c'est un protecteur malavisé. En l'entraînant par la curiosité, la conscience de soi et la compassion, vous commencez à l'apprivoiser, de sorte qu'il ne mène plus la danse. De saboteur qu'il était, il devient un signal.
Les dirigeants les plus efficaces ne sont pas exempts de doutes - ils ont appris à les surmonter.
Dialogue intérieur et réalités extérieures
Même si l’article de la Harvard Business Review propose des stratégies précieuses pour composer avec notre critique intérieur, ce n’est qu’une partie du portrait. Ce serait une omission, même presque irresponsable, compte tenu de mon propre vécu et de ce que j’ai observé dans la vie de nombreuses personnes autour de moi, de parler du critique intérieur sans reconnaître les réalités extérieures qui contribuent souvent à le façonner. Tous les critiques intérieurs ne naissent pas du même endroit.
Le doute de soi et les messages intérieurs durs sont souvent façonnés par des facteurs externes : la culture du milieu de travail, les attentes sociales, les biais systémiques ou des environnements où l’on ne correspond pas à l’archétype dominant ou attendu du leadership. Dans bien des cas, ce que nous intériorisons n’est pas le reflet de notre compétence, mais le produit des biais et des présupposés qui nous entourent.
Le critique intérieur parle peut-être de l’intérieur, mais ses racines se trouvent des fois dans le monde qui nous entoure. Ce n’est ni juste ni utile de blâmer une personne d’être trop dure envers elle-même, lorsque cette sévérité intérieure a été façonnée par des systèmes, des biais ou des normes qui lui ont fait sentir qu’elle n’avait pas sa place. Une fois intériorisé, même si elle trouve son origine dans notre environnement, elle s’est installée en nous et il est essentiel de la reconnaître, de l’explorer et de travailler avec elle
Le coaching peut aider à maintenir ces deux vérités : cette voix n'est pas venue de nulle part et vous avez encore le pouvoir de changer votre relation avec elle.
C'est pourquoi mon approche du coaching est toujours double :
🧠 Aider les clients à reconnaître leur dialogue interne et à le gérer, et
🌍 faire en sorte que ce dialogue soit contextualisé, en particulier lorsqu'il reflète des pressions sociales plus larges ou des antécédents d'exclusion.
Il est impossible d'encadrer efficacement le critique si l'on ignore le système qui en a façonné le ton.
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