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Dire non, c’est OK - Poser ses limites

Par Sophie Makonnen

 

Beaucoup d’écrits existent sur l’art de dire non, notamment dans les champs du coaching, du leadership que de la productivité.

Pour plusieurs professionnel·le·s, dire non n’est pas naturel.  Le travail est important. Les enjeux semblent élevés. La frontière entre l’engagement personnel et les attentes professionnelles peut être floue. Or, apprendre à dire non de manière stratégique, respectueuse et sans ressentir de la culpabilité est essentiel pour rester centré·e sur ses priorités

Prenons par exemple cette situation :

Nadia, coordonnatrice de programme (nom fictif), se voit demander de se joindre un nouveau à un groupe de travail à la dernière minute. Le sujet est important, la direction est de haut niveau, ce qui pourrait représenter une belle occasion de visibilité.  Cependant, elle est déjà en retard pour un rapport à remettre la semaine suivante et dirige une mission sur le terrain en plus d’aider un collègue malade.  Accepter cette tâche pourrait renforcer sa réputation, mais cela pourrait aussi compromettre le temps qu’elle consacre au sommeil, la qualité de son travail et le respect de ses propres limites.  Refuser semble risqué, car cela pourrait donner l’impression qu’elle rejette une occasion difficilement acquise.  Après avoir prouvé sa valeur pendant de nombreuses années, il semble paradoxal de refuser. Elle se retrouve dans une situation difficile : comment refuser sans compromettre ses relations ou sa réputation professionnelle?

 

C’est une question qui revient souvent en coaching, surtout lorsque la demande est légitime, que les enjeux sont réels et que nos propres priorités sont déjà mises à rude épreuve.

Voici quelques approches que je propose à mes client·e·s; elles peuvent offrir un soutien pour mieux gérer les demandes tout en respectant vos priorités. Il n’est pas nécessaire de toutes les utiliser à chaque fois.  Certaines vous sembleront peut-être plus naturelles, d’autres conviendront mieux à des situations particulières.  Vous pourriez en choisir une seule, ou en combiner plusieurs, selon la relation, l’urgence et ce que vous sentez possible selon la situation.

 
  1. Reconnaître la demande: Il est important de reconnaître une invitation ou une demande, même si vous n’envisagez pas de répondre positivement.  Quelqu’un s’est tourné vers vous parce que votre point de vue, votre travail ou votre contribution sont appréciés.  Un simple remerciement montre du respect sans signifier un accord.

 

2. La nécessité de la clarté : avant de pouvoir dire non avec assurance, il est crucial d’être clair·e sur ses responsabilités actuelles. Qu’est-ce qu’on attend de vous ?  Qu’est-ce qui doit être livré ? Sur quoi devriez-vous concentrer votre attention ? Même si vous ne maîtrisez pas entièrement vos priorités, vous devez pouvoir les identifier. Lorsque celles-ci sont floues, chaque demande peut sembler urgente, ce qui peut mener à une surcharge de travail. Mais, une fois que vous savez quelles sont vos priorités, il devient plus facile de repérer ce qui ne cadre pas, ou ce qui peut attendre.  Dire non sera peut-être encore inconfortable, mais cela semblera plus réfléchi, plus ancré, moins comme une réaction, et davantage comme une décision consciente.

 

3.  Avant de donner son accord à quelque chose de nouveau, il est important de se poser la question suivante : « Qu’est-ce que cela va réellement me coûter ? » Autrement dit, en acceptant quelque chose, que suis-je en train de refuser ? Nous essayons parfois d’en faire trop, en essayant de tout faire, sans pour autant tout abandonner.  Or, notre temps et notre énergie sont limités.  Chaque oui implique un compromis, même si ce n’est pas immédiatement visible.

Si vous décidez de vous joindre à un nouveau comité, quels ajustements devrez-vous apporter à votre emploi du temps ? Est-ce que d’autres tâches devront être reportées ou abandonnées ? De même, si vous devez effectuer un déplacement professionnel à la dernière minute, est-ce que cela signifie que vous devrez reporter certaines réunions, repousser certaines échéances ou annuler votre week-end ? Il ne s’agit pas d’excuses, mais de considérations réelles. La question n’est pas de savoir si vous avez les capacités de le faire, mais plutôt ce que vous devrez peut-être mettre de côté pour que ce soit possible.

Il est vrai qu’il y a des occasions où cela en vaut la peine, lorsque l’opportunité correspond à vos objectifs, accroît votre notoriété ou contribue à la construction d’un projet important.  Le problème ne réside pas dans ces décisions elles-mêmes, mais plutôt dans leur fréquence excessive.  Même une surcharge stratégique a un prix. Au fil du temps, cette stratégie atteint ses limites.

 

4. Commencer par dire non là où les enjeux sont faibles: cela devient plus facile avec la pratique, surtout lorsque le risque est faible et que la culpabilité ne s’installe pas.  Amorcez par de petits pas : quittez un comité interne qui ne correspond pas à votre rôle, refusez une réunion non prioritaire, évitez un événement social épuisant, refusez une visite de site qui dépasse le cadre de votre projet ou déclinez la révision d’un document déjà pris en charge par quelqu’un·e d’autre.

Ces décisions apparemment insignifiantes vous permettent de cultiver la pratique de prendre une pause avant d’accepter. Cette routine se révélera très utile lorsque les enjeux seront élevés. S’entraîner dans des situations à faible pression vous aidera à acquérir ce réflexe, de sorte qu’il sera disponible au moment crucial.

 

5. Distinguer la demande de la personne qui la formule:  vous ne rejetez pas la personne, vous déclinez une demande. Cette nuance est essentielle.  Que ce soit un·e collègue, un·e supérieur·e ou un·e pair que vous respectez, il est tout à fait possible de dire non tout en protégeant la relation.  Vous pouvez continuer à valoriser leur travail ou leurs intentions, même si vous ne pouvez pas vous engager dans l’immédiat.

Faites-le comprendre clairement, pour que votre refus ne soit pas interprété comme un retrait de soutien, mais bien comme une décision liée à votre capacité, au moment ou à votre niveau de concentration.  Quand les gens se sentent respecté·e·s et reconnu·e·s, ils et elles sont généralement plus enclin·e·s à respecter vos limites en retour.

 

6. Offrir une raison simple: il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails ou d’expliquer l’ensemble de votre horaire. Une courte explication suffit pour transmettre le message avec tact.  Vous pouvez mentionner vos autres priorités ou la limite de vos disponibilités.  Soyez honnête, sans vous excuser (car vous n’avez rien fait de mal).  Un non clair et bien ancré est souvent plus facile à recevoir qu’une explication trop vague ou trop détaillée.  Il ne s’agit pas seulement de refuser, mais surtout de poser ses limites avec respect.

 

7. Proposer une alternative ou reformuler la demande: parfois, un non direct n’est pas possible, ou pas stratégique.  Mais cela ne signifie pas que vous devez accepter silencieusement plus que ce que vous pouvez gérer.  Dans ces moments, proposer une alternative ou reformuler la demande peut être tout aussi efficace.  Surtout lorsque la demande vient d’un·e supérieur·e ou d’une personne ayant un pouvoir décisionnel, adopter un ton collaboratif peut faire toute la différence.

Par exemple, vous pourriez dire :

 Je comprends que c’est important et urgent. Cette semaine, j’ai déjà priorisé les tâches A et B, puisqu’elles sont essentielles pour les livrables de notre équipe. Souhaitez-vous que je réorganise certaines choses pour dégager du temps pour ce point ? Ou devrions-nous envisager un ajustement de l’échéancier ? 

Vous ne dites pas non, vous proposez de trouver une solution. Cela permet de garder le cap sur les résultats communs, plutôt que de centrer la discussion sur vos limites personnelles.

Au besoin, vous pouvez aussi préciser ce qui est en jeu :

 Je peux prendre ça en charge, mais je tiens à signaler que tout livrer dans les délais actuels pourrait affecter la qualité. Préférez-vous que je vise quelque chose de “d’assez bien” pour l’une des tâches, ou vaudrait-il mieux échelonner les échéances ? 

Cette approche ne ferme pas la porte à la demande. Elle ouvre plutôt une conversation sur ce qui compte vraiment et sur la façon de rendre les compromis visibles et réfléchis.

 

8. Énoncer vos limites dès le départ : s’il y a un schéma qui se répète, par exemple, une personne qui s’appuie souvent sur vous au-delà de votre rôle, il peut être utile d’être proactif·ive. Vous pourriez dire :

 Je me concentre vraiment sur X ce trimestre, donc je n’aurai pas beaucoup de disponibilité pour de nouvelles demandes pour le moment. 

Ainsi, lorsque la prochaine demande arrivera, vous ne partez pas de zéro, vous faites simplement preuve de cohérence avec ce que vous avez déjà exprimé.

 

9.  S’habituer à l’inconfort et dire non quand même: si vous êtes une personne qui a l’habitude de dire oui parce que c’est plus simple ou parce que cela semble plus sécuritaire, dire non peut vous sembler difficile et vous faire craindre de décevoir ou de remettre votre décision en question.  C’est normal lorsqu’on change de comportement.  Pour s’en libérer, il faut oser. Mais, avec le temps, cela devient plus facile et s’intègre peu à peu dans votre façon de gérer votre temps, au lieu d’être perçu comme une rupture ou un malaise.

 

10. Rester ferme malgré les insistances: certaines personnes n’acceptent pas facilement un non. Cela ne signifie pas pour autant que vous devez répondre à leur insistance par de la défensive.  Pour ce faire, répétez votre refus de manière claire, calme et assurée.  Ce n’est pas impoli d’être ferme, surtout quand c’est exprimé avec un ton posé, une attitude sereine et, parfois, un sourire.   Un refus poli et respectueux peut établir une limite sans générer de tension ni compromettre la possibilité d’une collaboration future.

 

L’objectif est moins de réciter un scénario que de diversifier les choix disponibles lorsque l’on se retrouve coincé·e entre un refus insincère et la crainte de dire oui. Dire non ne sera pas toujours facile, mais cela peut devenir une décision intentionnelle, respectueuse et stratégique. Plus vous le faites, plus cela devient une façon de diriger, de protéger votre concentration et de faire de la place pour ce qui compte vraiment.

 
 

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