Naviguer les conversations difficiles avec confiance (Partie 2)

Par Sophie Makonnen

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La semaine dernière, nous avons exploré comment les conversations difficiles nous prennent souvent au dépourvu. On croit qu’il s’agit d’une discussion de routine… jusqu’à ce que ce ne soit plus le cas.

 

Dans les organisations internationales, les conversations difficiles comportent souvent des couches supplémentaires. Les personnes participantes apportent à la table des normes culturelles, des styles de communication et des attentes variés. Les parties prenantes peuvent avoir des priorités ou des objectifs divergents, façonnés par leurs rôles, leurs contextes de travail ou leurs mandats institutionnels. La distance géographique, les différences linguistiques ou les structures hiérarchiques peuvent amplifier les dynamiques de pouvoir. Tout cela peut rendre plus difficile l’instauration d’un dialogue ouvert et honnête, en particulier lorsque les enjeux sont élevés et que la confiance est encore en construction. Dans ces contextes, la préparation, l’empathie et la clarté sont d’autant plus essentielles.

 

Dans la deuxième partie de cette série, nous nous concentrons sur les conversations que l’on sait complexes dès le départ. Il s’agit de ces moments où vous vous préparez à formuler une rétroaction susceptible de provoquer une réaction défensive, à communiquer une décision impopulaire ou à prendre part à une discussion marquée par la tension, la méfiance ou de fortes attentes. Ces conversations exigent une préparation réfléchie, une intelligence émotionnelle aiguisée et beaucoup de clarté. Mais, surtout, cela demande de la confiance en soi. Celle qui vient du travail de préparation fait en amont, pour arriver ancré, clair et prêt à exercer un leadership éclairé.

 

Dans leur ouvrage Difficult Conversations : How to Discuss What Matters Most, Douglas Stone, Bruce Patton et Sheila Heen décrivent trois couches qui rendent les conversations difficiles : la conversation sur « Ce qui s’est passé », la conversation sur les sentiments et la conversation sur l’identité. Ce cadre d’analyse offre un éclairage sur les raisons pour lesquelles ces échanges tournent souvent mal, ainsi que sur la manière de les aborder différemment.

 

Dans cet article, nous allons passer de la réaction à l’intention. Nous vous expliquons comment aborder les discussions difficiles avec un minimum de préparation, en équilibrant l’empathie et le leadership, même si la situation est inconfortable.

 

Nous allons examiner différents aspects en nous appuyant sur le cadre proposé par Stone, Patton et Heen.

🔸 Définissez vos objectifs : pourquoi cette conversation est-elle importante et quel résultat souhaitez-vous obtenir ?

🔸 Soyez ouvert·e d’esprit : comment vous préparer à écouter des perspectives variées et à gérer les attentes ?

🔸 Gérez les émotions (les vôtres et celles des autres) : restez centré·e lorsque les tensions montent.

🔸 Structurez votre échange : comment être empathique, rester clair·e et éviter les conflits inutiles.

 

Prendre le temps de se préparer mentalement vous aidera à rester calme, à augmenter les chances que la conversation se déroule de façon harmonieuse et à améliorer la qualité des solutions trouvées.

Avant d’entamer une conversation difficile, prenez un moment pour faire un retour sur vous-même. Si vous avez déjà qualifié cet échange de « difficile » dans votre esprit, il est probable que vous ressentiez du stress ou de l’appréhension avant même qu’il ne commence. C’est tout à fait normal… mais cela peut aussi influencer votre manière de vous présenter dans la discussion.

Essayez plutôt de reformuler la situation. Et si ce n’était pas une conversation difficile, mais une occasion de clarifier les choses, de collaborer ou de résoudre un problème ? Par exemple, au lieu de penser : « Je dois confronter un·e collègue au sujet des délais non respectés », dites-vous plutôt : « J’ouvre une conversation pour comprendre ce qui freine l’avancement et voir comment nous pouvons progresser ensemble. » Ou encore, au lieu de redouter : « Je dois annoncer une mauvaise nouvelle concernant le retard d’un projet », envisagez : « J’apporte de la transparence afin que nous puissions trouver ensemble la meilleure voie à suivre. »

Changer de perspective de cette manière peut réduire la tension et vous permettre d’aborder la conversation avec plus de confiance et de clarté.

 

La semaine dernière, nous avons examiné un échange houleux entre Tara, responsable du suivi et de l’évaluation au siège, et Rose, cheffe de projet sur le terrain. Tara voulait mettre en place un sondage standardisé pour évaluer l’impact, tandis que Rose souhaitait inclure davantage de données qualitatives provenant de la communauté. Leur conversation s’est enlisée, chacune se sentant mal comprise et frustrée.

Nous allons reprendre la discussion entre Tara et Rose pour montrer comment ces différentes étapes peuvent se concrétiser.

 

Définissez vos objectifs

Avant d’entamer une conversation difficile, prenez le temps de clarifier votre intention.

Que devez-vous accomplir ? Quel est le résultat idéal — non seulement pour vous, mais aussi pour la relation ? Sans cette clarté, il est facile de se laisser détourner par l’émotion ou de devenir sur la défensive. Une intention précise vous aide à rester centré·e et à garder une posture constructive.

Stone, Patton et Heen insistent sur l’importance de définir clairement son objectif avant d’engager une conversation délicate. Cherchez-vous à prouver que vous avez raison, ou à comprendre la situation et à résoudre un problème ensemble ? Être au clair sur votre intention peut vous éviter d’escalader le conflit sans le vouloir.

 

Dans le cas de Tara et Rose :

  • Rose aurait pu clarifier qu’elle ne cherchait pas à empêcher le sondage, mais plutôt à l’améliorer en y intégrant les idées de la communauté. Cette explication lui aurait permis de se concentrer sur la recherche d’une solution alternative, au lieu de ressasser sa déception d’avoir été exclue du processus.

  • De son côté, Tara aurait pu clarifier que sa priorité était d’assurer la cohérence méthodologique, tout en restant ouverte à l’idée d’enrichir l’évaluation, à condition que cela ne compromette pas les standards établis. Cette clarification lui aurait permis d’aborder la discussion avec Rose dans un état d’esprit plus accueillant.

 

Comprenez leur point de vue

Avant d’entamer une conversation, essayez de vous mettre à la place de l’autre personne. Quels pourraient être ses soucis ? Quelles pressions subit-elle ? Qu’est-ce qui est le plus important pour elle ? Cela ne signifie pas que vous devez nécessairement être d’accord avec son point de vue, mais cela vous aidera à aborder la discussion avec empathie, plutôt que de vous défendre inutilement.

Gardez à l’esprit que votre point de vue n’est qu’une manière parmi d’autres de percevoir la situation. Il est probable que l’autre personne ressente autant de conviction à défendre sa position que vous en éprouvez pour la vôtre.

Soyez vigilant·e à ne pas supposer que votre point de vue est le seul évident. Des expressions comme « clairement » ou « évidemment » peuvent, sans le vouloir, laisser entendre que les autres perspectives ne sont pas valables. Cela peut donner à l’autre personne le sentiment d’être ignorée ou incomprise. À la place, reconnaître la légitimité de différentes perspectives et créer un espace favorable à un dialogue plus ouvert et constructif serait plus approprié.

Il est préférable de reconnaître les différents points de vue et de favoriser un échange constructif et inclusif.

 

Dans son ouvrage intitulé Unlocking Leadership Mindtraps, Jennifer Garvey Berger décrit un défi fréquent auquel font face les personnes en situation de leadership : celui d’être piégé·e·s par leur propre sentiment d’avoir raison. Elle souligne que les êtres humains ont une tendance innée à se sentir rassuré·e·s par leur propre perspective. La sensation « d’avoir raison » s’apparente souvent à une certitude, et notre cerveau nous récompense par un sentiment de satisfaction lorsque nous croyons détenir la vérité. Cependant, comme le souligne Garvey Berger, cette impression de certitude ne prouve pas nécessairement que nous avons raison.

Lorsque nous tombons dans ce piège cognitif du besoin d’avoir raison, nous avons tendance à :

🔹 nous accrocher fermement à notre propre perspective, en rejetant ou en dévalorisant les options alternatives ;

🔹 fermer la porte à la curiosité, convaincu·e·s d’avoir déjà trouvé la solution ;

🔹 éprouver des difficultés à écouter pleinement, en restant davantage concentré·e·s sur la défense de notre position que sur la compréhension du point de vue de l’autre personne.

 

Cette dynamique peut nous inciter à chercher à persuader les autres avec plus d’ardeur, nous aveuglant ainsi à des informations importantes et, en fin de compte, minant la confiance et la collaboration.

 

Garvey Berger propose une approche différente. Elle encourage les personnes en position de leadership à reconnaître que leur perspective n’est qu’une possibilité parmi d’autres, et non une vérité absolue. En restant ouvert·e·s à différents points de vue et en passant d’un état d’esprit centré sur « j’ai raison » à une réflexion du genre « qu’est-ce que je pourrais manquer ? », les leaders ouvrent la voie à des échanges plus profonds. Au lieu de chercher à avoir le dernier mot, ils et elles peuvent inviter les autres à collaborer pour créer des solutions plus inclusives et plus efficaces.

 

Dans le cas de Tara et Rose :

  • Rose est profondément convaincue de l’importance de prendre en compte des données qualitatives provenant de la communauté pour évaluer l’impact de manière fidèle. Elle est convaincue que les chiffres seuls ne peuvent pas refléter la réalité dans son ensemble. Toutefois, si Rose n’y prend pas garde, cette conviction pourrait la pousser à percevoir les priorités de Tara comme étant rigides ou déconnectées du terrain.

  • De la même manière, lorsque Tara défend la méthodologie standardisée du sondage, elle agit probablement à partir d’un sentiment de certitude, fondé sur les attentes institutionnelles et les normes professionnelles. Cette assurance pourrait l’amener à ne pas prêter suffisamment attention aux préoccupations de Rose. Si Tara considère que son approche ne peut être remise en question, elle risque d’étouffer sa curiosité et de passer à côté d’informations précieuses que Rose apporte grâce à son expérience sur le terrain.

 

Toutes deux sont vulnérables au piège cognitif décrit par Garvey Berger, celui d’être piégées par la certitude d’avoir raison. Si l’une ou l’autre parvient à prendre du recul et à se dire : « Ceci est une perspective valable, mais qu’est-ce que je pourrais manquer ? », cela ouvre la voie à une meilleure compréhension et à une collaboration renforcée. Plutôt que de chercher à « gagner », elles s’orientent vers la co-création d’une solution qui respecte à la fois la rigueur méthodologique et la voix de la communauté.

 

Gérez vos émotions, les votres et celles des autres

Les conversations à enjeux élevés suscitent des émotions, que nous les reconnaissions ou non. Avant d’engager la conversation, prenez un instant pour réfléchir aux émotions que vous pourriez ressentir, ainsi qu’à la manière dont vous les gérerez. Pendant la conversation, soyez attentif·ve aux signaux émotionnels de l’autre personne et adaptez votre posture pour maintenir un climat de calme et de connexion.

Cela rejoint directement ce que Stone, Patton et Heen décrivent dans leur cadre d’analyse comme la « conversation sur les sentiments ». Les émotions non exprimées ne disparaissent pas : elles s’infiltrent dans la conversation, se traduisant souvent par une posture défensive, des reproches ou une mise en retrait. Nommer et accueillir ces émotions est essentiel pour rester ancré·e et aider l’autre personne à se sentir entendue.

Exprimez librement vos sentiments sans jugement.

Il est tout à fait normal de se sentir contrarié·e lorsque quelque chose paraît inattendu ou injuste. Toutefois, blâmer quelqu’un en l’accusant de vos sentiments peut l’amener à se défendre et à mettre un terme à la discussion. Par exemple, si un·e collègue prend une décision sans vous consulter, dire : Pourquoi m’as-tu exclu·e de cette décision en tant que membre de l’équipe ? peut entraîner une escalade de la tension. Une approche plus constructive consisterait à dire : J’ai remarqué que je n’ai pas été inclus·e dans la réponse et j’aimerais comprendre comment cette décision a été prise. Cette formulation permet d’ouvrir le dialogue et d’encourager une conversation plus simple et plus collaborative.

 

Dans le cas de Tara et Rose :

  • Rose s’est sentie ignorée et mise à l’écart. Elle aurait pu prendre quelques instants pour reconnaître et gérer ses émotions avant l’appel, ce qui lui aurait permis d’aborder la discussion avec plus de calme. Elle aurait ainsi choisi des mots favorisant la collaboration plutôt que le conflit.

  • Quant à Tara, elle aurait pu percevoir la montée de frustration chez Rose pendant la conversation, ce qui lui aurait permis de ralentir le rythme. Elle aurait pu exprimer son désir de clarifier ses inquiétudes en disant : « J’aimerais mieux comprendre tes préoccupations. Peux-tu me dire ce qui, d’après toi, fait défaut dans notre approche ? » Cela aurait pu adoucir les tensions et favoriser un échange plus positif.

  • Rose et Tara auraient gagné à porter attention à leurs propres sentiments et à ceux de l’autre. En adoptant une attitude axée sur la compréhension mutuelle plutôt que sur la défensive, elles auraient ouvert la porte à un résultat plus satisfaisant.

 

Structurez la conversation pour favoriser une communication claire et bienveillante

Même lors d’échanges tendus, il est possible de construire le dialogue pour faciliter la compréhension mutuelle. Commencez par nommer vos objectifs communs. Soyez clair·e et transparent·e, en particulier si vous devez annoncer une décision impopulaire, mais faites-le avec respect. Décrivez la situation comme un défi à relever conjointement, plutôt qu’une critique personnelle.

Stone, Patton et Heen nous rappellent que la « conversation sur l’identité » est omniprésente. Lorsque les gens sentent que leurs compétences, leur intégrité ou leur valeur sont remises en question, leur défense s’accroît. La clé d’un leadership efficace consiste à structurer la conversation de manière à préserver la dignité de chacune et chacun, tout en restant authentique.

 

Dans le cas de Tara et Rose :

Rose aurait pu commencer par souligner ce qui les unissait : « Nous avons tous deux à cœur que cette évaluation reflète fidèlement l’impact réel du projet. » Elle aurait ensuite pu exprimer sa préoccupation de manière claire et respectueuse : « Je crains que, sans la contribution de la communauté, nous passions à côté d’une partie cruciale de l’histoire. »

Tara aurait pu réagir en reconnaissant le rôle crucial de Rose : « Ta familiarité avec le terrain t’a permis de collecter des informations précieuses que nous ne pouvons pas obtenir uniquement à partir des données quantitatives. Voyons ensemble comment inclure ces perspectives sans compromettre la méthodologie dont nous avons besoin. »

En procédant ainsi, elles auraient toutes deux protégé la « conversation sur l’identité » que décrivent Stone, Patton et Heen. Elles auraient reconnu mutuellement leur expertise et leur rôle respectif, tout en travaillant à une solution co-construite. Jennifer Garvey Berger met en évidence le fait que lorsque les dirigeants dépassent leur désir de gagner, un espace favorable à la responsabilité partagée et à des résultats plus profonds se crée.

 

En résumé

Préparez-vous avec soin pour des conversations difficiles en faisant preuve de clarté, d’empathie et d’intelligence émotionnelle. L’objectif n’est pas d’éviter les points de vue divergents, mais plutôt de les aborder d’une manière qui encourage la compréhension mutuelle et qui contribue à l’avancement de la situation.

En étant conscient·e de vos propres émotions et de celles de vos collègues, en comprenant des perspectives différentes et en clarifiant vos objectifs, vous gagnerez la confiance nécessaire pour engager le dialogue avec détermination et intention. Une préparation réfléchie vous permettra de tenir votre position sur les enjeux essentiels, tout en cultivant le respect mutuel et la collaboration.

 

Toute conversation ne peut pas être sauvée

Dans Collaborating with the Enemy : How to Work with People You Don’t Agree with or Like or Trust, Adam Kahane introduit le concept de la collaboration étirée (stretch collaboration), une approche qui consiste à travailler avec d’autres personnes, même lorsque c’est difficile, inconfortable et empreint d’incertitude. Il nous encourage à rester engagé·e·s avec celles et ceux dont les perspectives nous bousculent, à renoncer au besoin de contrôle ou de certitude et à aborder la collaboration avec humilité et ouverture. Il s’agit de sortir de sa zone de confort et de co-créer des solutions, même sans accord total ni confiance absolue.

Kahane rappelle également que la collaboration n’est pas toujours possible ni même souhaitable. Son cadre propose quatre réponses potentielles face à des situations complexes : collaborer, s’adapter, imposer une décision ou se retirer. Si cet article met l’accent sur le développement des compétences nécessaires à une collaboration porteuse de sens, il est tout aussi important de savoir reconnaître quand la meilleure option consiste à s’adapter, à affirmer une décision ou à se retirer complètement. Développer cette capacité de discernement, savoir quand « s’étirer » et quand prendre du recul, demande une confiance en soi solide dans son propre jugement. Cette confiance en soi est essentielle pour s’engager pleinement, mais aussi pour fixer des limites lorsque cela est nécessaire.


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