Quand "assez bien" devient parfait

Par Sophie Makonnen

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Exigences élevées ou perfection ?

Avez-vous déjà veillé tard pour retravailler quelque chose, par exemple un courriel, un rapport ou une présentation, en vous demandant si cet effort supplémentaire améliore réellement le résultat ou s’il sert seulement à apaiser votre anxiété ? 

Nous avons tendance à associer la réussite à l’excellence dans tous les aspects de notre vie. Cependant, le perfectionnisme, qui consiste à toujours viser l’excellence, peut s’avérer être une source insidieuse de stress, d’épuisement et de manque de plaisir, pas seulement sur le lieu de travail, mais aussi dans tous les aspects de la vie. Lorsque nous nous imposons constamment d’exceller dans tous les domaines, la pression peut nous submerger et nous épuiser. Et si viser le « assez bien » dans certains domaines ou circonstances était un choix plus judicieux?

Quand la perfection devient une affaire de famille

En tant que fille d’un chirurgien et d’une infirmière, j’ai grandi dans un milieu où la précision et l’excellence n’étaient pas seulement valorisées, elles étaient essentielles. Dans leur milieu professionnel, il n’y avait pas de place pour l’erreur, et pour une bonne raison : il s’agissait de la santé des gens. Cet état d’esprit m’a accompagnée tout au long de ma vie, influençant ma démarche à l’école, au travail, et même dans les tâches quotidiennes les plus banales. Il m’a suivie dans ma vie adulte.

Ma mère répétait souvent : Tout ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être bien fait. Cette phrase est devenue un refrain constant, me poussant à rechercher la perfection dans tout ce que j’entreprends.

La première fois que j’ai entendu quelqu’un suggérer qu’une tâche ne nécessitait qu’un effort de niveau B+, cela m’a profondément étonnée. Je ne me souviens plus quel balado j’écoutais, mais je me souviens exactement où je me trouvais : à Montréal, sur le point d’entrer dans un bâtiment pour un rendez-vous médical. Cet instant s’est gravé dans ma mémoire, et l’idée qu’un effort « assez bien » puisse être suffisant m’a hantée depuis.

La pensée que certaines tâches ne gagnent pas en valeur en passant d’un B+ à un A+ me semblait presque absurde au début. Même écrire cette phrase, “ parfois, assez bien est acceptable”, me met un tant soit peu mal à l’aise et me trouble légèrement ! Je suis une ancienne perfectionniste (ou en rétablissement). 😊


Les exigences élevées ont toujours été au cœur de mon identité, personnelle et professionnelle. Mais avec le temps, j'ai réalisé que je confondais exigences élevées et perfectionnisme, qui sont pourtant deux choses différentes. Cette distinction ne s’est pas faite facilement ni rapidement ; elle m’a demandé du temps, des erreurs et des moments où je me sentais complètement dépassée.

En tant que femme professionnelle, mère et fille, j’avais beaucoup de responsabilités. De nombreuses personnes comptaient sur moi. Tout semblait important jusqu’à ce que cela devienne urgent. À ce moment-là, j’ai compris que je ne pouvais pas ajouter des heures à ma journée. Si cela avait été possible, je l’aurais fait... croyez-moi ! 😊

Par conséquent, j’ai accepté que certaines choses ne soient pas accomplies et je me suis dit que je devais être réaliste en ce qui concerne l’endroit où je devais diriger mon énergie. Sans faire fi de mes exigences élevées, j’ai compris qu’il était acceptable que tout dans ma vie ne soit pas parfait. J’ai appris à adapter mon attention et mon énergie en fonction des exigences de chaque situation. Certaines choses seraient réalisées de manière « assez bien », d’autres ne verraient pas le jour, et certaines, ne tolérant aucun compromis, devraient être accomplies comme prévu et selon des exigences élevées.

Il est vrai que certains contextes exigent un niveau de performance irréprochable, tels que les chirurgiens réalisant des interventions vitales, les équipes assurant la sécurité aérienne ou les athlètes concourant pour une médaille olympique. Dans ces circonstances, atteindre l’excellence et la perfection devient une nécessité absolue.

Cependant, dans la vie de tous les jours, nous ne faisons pas toujours face à des situations aussi critiques. Le défi consiste plutôt à trouver un équilibre entre le travail, les responsabilités personnelles et les objectifs à long terme. Selon moi, la clé réside dans la capacité à savoir quand viser l’excellence et quand « assez bien » est non seulement suffisant, mais constitue le meilleur choix.

 

Perfectionnisme : Quand on est pris au piège

Les perfectionnistes ont tendance à penser que ne pas atteindre leurs objectifs est inacceptable. Or, selon les recherches, cette quête constante n’est pas viable sur le long terme, car elle peut mener à l’épuisement professionnel et à une baisse du bien-être.

Certaines personnes sont capables de viser l’excellence dans un domaine spécifique, tout en étant satisfaites d’être simplement moyennes dans d’autres. Mais pour les perfectionnistes, ne pas atteindre l’excellence dans tout ce qu’ils entreprennent est inconcevable, ce qui les pousse à une poursuite incessante de la perfection, souvent au détriment de leur bien-être.

Le psychologue britannique Thomas Curran, auteur de The Perfection Trap (le piège de la perfection), décrit le perfectionnisme comme une épidémie alimentée par des attentes irréalistes. De même, Ellen Hendriksen dans How to Be Enough, explique que les perfectionnistes ont temdance à lier estime de soi à leurs réalisations, ce qui peut devenir épuisant.  Elle évoque également une épidémie de perfectionnisme, bien que cela ne constitue pas un diagnostic médical établi par l’auteure de ce livre ou de ce blog.  Pour une source en français le livre de Laurence Roux-Fouillet, Perfectionnisme : Mon meilleur ennemi décortique les mécanismes du perfectionnisme et propose des stratégies pour retrouver un équilibre.

Avoir des exigences élevées n’est pas ce qui est remis en question ici. C’est probablement ce qui nous a permis de réussir et d’arriver là où nous sommes. Angela Duckworth, connue pour ses travaux sur la persévérance (grit) dans son livre L’art de la niaque : comment la passion et la persévérance..., appelle cette détermination la conscience professionnelle, un trait de personnalité qui favorise l’engagement, la constance et la minutie, et qui peut être une force. Angela Duckworth note que la conscience professionnelle est un prédicteur de la réussite.

Par conséquent, le perfectionnisme, tel que décrit par ces auteurs, ne consiste pas à viser l’excellence, mais à ressentir constamment qu’on pourrait mieux faire, comme l’explique Ellen Hendriksen dans la présentation de son livre.

Identifier le piège du perfectionnisme est la première étape, mais s’en libérer demande de comprendre quand « bien » est en réalité le meilleur choix.

 

Quand « assez bien » peut suffire

La version n°10 ajoute-t-elle vraiment de la valeur, ou sert-elle simplement à apaiser votre anxiété plutôt qu’à améliorer le résultat ?

Que se passerait-il si vous vous permettiez parfois de vous arrêter à « assez bien » ? Pourriez-vous économiser ce temps et cette énergie pour des choses qui comptent vraiment et nécessitent toute votre attention ?

Pensez-y de cette manière : définissez vos priorités. Osons le dire : toutes les tâches ne demandent pas un effort maximal. Savoir où tracer la ligne est une forme de réflexion stratégique. En cessant d’investir trop de temps dans une tâche qui ne nécessite pas la perfection, vous vous libérez pour consacrer toute votre attention aux projets, décisions et moments qui revêtent une véritable importance.

Il ne s’agit pas de se contenter de moins, mais de consacrer votre meilleure énergie à ce qui aura le plus grand impact. En acceptant « assez bien » là où cela s’applique, nous évitons de nous surinvestir dans des tâches qui n’ont pas réellement de valeur et nous dirigeons nos meilleurs efforts là où ils comptent vraiment.

 

Cela arrive partout

Les projets de développement global englobent une multitude d’actions et d’initiatives, telles que l’amélioration des moyens de subsistance, la promotion de l’éducation, l’avancement des résultats en matière de santé, la poursuite de la durabilité environnementale et la mise en place d’infrastructures essentielles (comme les systèmes de transport, d’énergie et d’approvisionnement en eau). Avoir des résultats dans le cadre d’initiatives de grande envergure et à fort impact constitue l’essence même du travail dans les contextes de développement international.

Ce qui est commun à toutes ces activités ou projets, c’est qu’ils sont entièrement axés sur l’amélioration de la qualité de vie des populations. C’est pour cette raison que nous nous engageons dans ce travail, et c’est ce qui rend les enjeux si importants. Nous craignons que des activités cruciales ne se déroulent pas comme prévu et nous sommes constamment rappelés à l’ordre quant à la nécessité de démontrer la rentabilité des activités que nous supervisons. Avec autant de possibilités d’erreurs ou de revers, cela crée un environnement de pression qui alimente souvent le perfectionnisme et le surmenage.

 

Par exemple :

·      Développer le cadre de suivi et d’évaluation “parfait”

Il y a souvent une pression immense pour concevoir des systèmes complets permettant de suivre et de rendre compte des progrès, en veillant à ce que chaque aspect du projet soit mesuré et documenté. Cependant, se concentrer excessivement sur la perfection peut entraîner des rendements décroissants, en gaspillant du temps et des ressources sur des ajustements inutiles.

·      Prendre des décisions critiques dans des environnements contraints en ressources et bureaucratiques

Le temps limité, les fonds restreints et les processus organisationnels complexes peuvent rendre la prise de décision difficile. Cela peut être frustrant lorsqu’on essaie d’agir efficacement et de faire avancer les choses, surtout quand les progrès dépendent de la gestion de plusieurs niveaux d’approbation des fois avec des priorités concurrentes. La clé est de prendre les meilleures décisions possibles avec les ressources disponibles et d’accepter que la perfection soit rarement atteignable. Plutôt que de trop analyser ou d’attendre des conditions idéales, on peut progresser en priorisant des solutions pratiques et opportunes qui maintiennent le projet sur la bonne voie.

·      Savoir quand insister et quand faire des compromis dans les efforts de plaidoyer

Le travail de plaidoyer exige un équilibre entre ambition et réalisme. Tous les objectifs ne seront pas pleinement atteints, et savoir quand intensifier les efforts et quand faire des compromis est essentiel pour provoquer un changement significatif et durable à long terme.

 

Actions pratiques: Trouver l’équilibre entre exigences élevées et flexibilité

 

Prendre des risques calculés : Identifiez les domaines à faible enjeu où les revers sont gérables., comme une séance de remue-méninges ou un courriel brouillon, afin de développer progressivement une résilience face à l’imperfection.

• Repenser l’échec : considérez les erreurs comme des retours d’information plutôt que comme des preuves d’insuffisance.

• Repérer les "boucles de perfection" : remarquez lorsque vous peaufinez quelque chose sans fin et posez-vous la question : s’agit-il encore d’améliorer le résultat ou simplement de calmer mes nerfs ?

• Célébrer les progrès : apprenez à apprécier un effort « assez bien » lorsqu’il permet d’atteindre l’objectif sans vous épuiser.

• Décider stratégiquement où concentrer votre énergie : identifier les questions ayant le plus grand impact ou les plus réalisables selon le contexte peut aider vous-même et votre équipe à éviter de disperser les efforts. Cette approche ne se contente pas de réduire le stress inutile, elle améliore également l’efficacité globale et la réussite.

 

Viser l’excellence ne signifie pas qu’il n’y aura pas d’erreurs, qui font partie du processus. Oui, nous devons viser des résultats impeccables, ou presque, en utilisant des solutions techniques, comme les listes de vérification dans certains domaines spécifiques, tels que l’aviation, où les pilotes s’en servent pour s’assurer que les étapes de sécurité essentielles sont respectées. Cela ne veut pas dire non plus se contenter de la médiocrité. La clé est de savoir où concentrer votre meilleure énergie et où vous accorder de la flexibilité.

Parfois, viser « assez bien » crée l’espace nécessaire pour réussir là où cela compte vraiment. Passer moins de temps à perfectionner les détails permet de se concentrer sur les projets, les décisions et les opportunités qui font réellement la différence. La véritable excellence ne consiste pas à éviter les erreurs, mais plutôt à en tirer des leçons, à s’adapter et à avancer avec un peu plus de sagesse à chaque fois.

Je l’ai fait, j’ai lancé mon blog Perspectives carrière ! Et oui, il n’est pas parfait. Si j’avais attendu la perfection, je serais encore coincée sur le brouillon n°58 du premier article, à me demander s’il etait assez bien...😉

 

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L’usage du masculin dans ce texte est adopté pour alléger la lecture. Il inclut toutes les identités de genre.

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