Le succès n’est pas un secret, alors pourquoi le cacher ?
Par Sophie Makonnen
Dans mon dernier article sur la confiance en soi, j’ai exploré comment les doutes internes et les préjugés externes peuvent nous empêcher de nous affirmer et d’occuper pleinement notre place et comment renforcer cette habileté est essentiel. La confiance, tout comme la compétence, joue un rôle crucial dans l’évolution de carrière. Mais un autre facteur clé entre en jeu, même en étant confiant, vos progrès peuvent stagner si vos contributions ne sont pas visibles. La visibilité est tout aussi importante.
Les gens se forgent naturellement des jugements en fonction de ce qu’ils perçoivent. Il est donc essentiel de prendre en charge la reconnaissance de nos contributions. En assurant la visibilité de notre travail, nous façonnons activement une perception juste de notre valeur, au lieu de la laisser au hasard.
Un travail remarquable mérite une plateforme pour briller. Sans visibilité, même les contributions les plus significatives peuvent passer inaperçues. Lorsque vous ne partagez pas activement vos réalisations, vous risquez d’alimenter l’idée que le simple fait de bien travailler suffit à obtenir de la reconnaissance. En prenant en main votre visibilité, vous vous assurez que vos efforts sont reconnus et que votre impact est pleinement perçu.
J’ai moi-même eu cette façon de penser au début de ma carrière. J’ai cru que, si je me concentrais uniquement sur l’excellence de mon travail, quelqu’un finirait par le remarquer. Et dans une certaine mesure, c’est arrivé. J’ai eu quelques opportunités, trois moments clés qui ont façonné mon parcours professionnel. Chaque fois, quelqu’un a mis mon travail en évidence. Ces personnes ne se sont pas contentées de reconnaître mon travail : elles l’ont mis en évidence, ce qui a ouvert la voie à de nouvelles opportunités professionnelles.
Je suis consciente que tout le monde n’a pas la chance d’avoir quelqu’un pour le défendre, et c’est précisément pour cette raison qu’il est si crucial d’apprendre à plaider sa propre cause. Bien que d’autres personnes m’aient aidée à me faire remarquer à certains moments, j’ai généralement dû compter sur mes propres ressources pour y parvenir. Si je n’avais pas mis de l’avant mes idées et mon travail, ceux-ci seraient restés inaperçus, ou je serais restée dépendante des autres pour me rendre visible.
Je me souviens aussi de la frustration ressentie lorsque j’ai partagé mes idées lors d’une réunion ou dans un texte, pour qu’elles soient ensuite reprises par quelqu’un d’autre, qui obtiendrait ainsi toute la gloire. Des collègues venaient me voir en privé en disant : « N’as-tu pas dit exactement la même chose il y a six mois ? » Lors d’une entrevue, on m’a indiqué que je manquais d’expérience en gestion pour un poste de gestionnaire de projet. Quelques mois plus tard, lors d’une autre entrevue, on m’a dit que je n’étais pas assez technique. Le message était clair : les critères ne cessaient de changer et se mesurer à ces critères étaient désarçonnant.
J’ai réalisé qu’il ne fallait pas se fier uniquement à la reconnaissance externe. Cela m’a permis de comprendre l’importance de promouvoir moi-même ma visibilité et de mettre en évidence mes réalisations. Pourquoi tant de professionnels hésitent-ils à le faire ? Qu’est-ce qui nous empêche de revendiquer nos accomplissements ?
La réticence à revendiquer ses succès
L’auto-promotion ne repose pas seulement sur la confiance en soi, elle est aussi une question d’état d’esprit (mindset). Comme l’explique Sally Helgesen dans How Women Rise, de nombreux professionnels, en particulier les femmes, hésitent à revendiquer leurs réussites par crainte de paraître prétentieux·euses ou arrogant·es. De la même manière, Peggy Klaus, dans Brag! The Art of Tooting Your Own Horn Without Blowing It, souligne comment les normes sociétales et culturelles découragent souvent l’auto-promotion, privilégiant le succès collectif au détriment de la reconnaissance individuelle. Cela pousse de nombreuses personnes à vouloir préserver une image modeste, convaincues que le travail acharné devrait parler de lui-même. Or, sans visibilité, même les professionnel·les les plus compétents.es risquent de passer inaperçus.
Sally Helgesen souligne que certain·es professionnel·les rejettent l’auto-promotion non seulement par humilité, mais aussi par un sentiment de supériorité morale, la croyance que « je vaux mieux que ça, je n’ai pas besoin de me vanter » ou encore « je refuse d’être insupportable comme ceux qui se mettent constamment en avant ». Certaines éducations inculquent une forte valeur d’humilité qui se transpose ensuite dans la sphère professionnelle. Cet état d’esprit consiste à croire que la reconnaissance viendra naturellement en temps voulu. Il laisse entendre que s’attribuer le mérite de son travail est déplacé, même si cela est essentiel pour évoluer dans sa carrière. Pendant ce temps, ceux qui n’ont pas ces réticences continuent de progresser.
Soyons honnêtes, pour beaucoup d’entre nous, parler de nos réussites et nous assurer que les autres en ont connaissance est une démarche inconfortable.
Mettre en lumière, sans se vanter
Il ne s’agit pas de vanter sa supériorité ni de se montrer exagérément confiant, mais bien de mettre en évidence et d’exprimer fièrement ses réalisations. Or, plusieurs personnes hésitent, car elles associent l’autopromotion à de la prétention. Cet a priori les amène malheureusement trop souvent au silence, par crainte de devoir choisir entre le fait d’être invisible ou d’être perçu comme une personne qui se vante.
L’autopromotion est tout autre chose : c’est un moyen d’assurer que nos réalisations soient reconnues et mises en valeur. Il est tout à fait possible de partager ses succès avec aplomb et raffinement, sans pour autant trahir son humilité ni sa sincérité. Plutôt que de voir cela comme de l’auto-promotion, pensez-y comme une façon de raconter une histoire, en mettant en avant l’impact de vos contributions plutôt que votre ego.
Peggy Klaus souligne l’importance de maîtriser l’art de parler de ses succès. C’est une forme d’expression et de communication très personnelle qui peut être adaptée à votre personnalité et à vos valeurs.
Reconnaître le succès : la première étape oubliée
Cette réflexion s’est concentrée sur la reconnaissance externe, sur la manière dont notre travail est perçu et valorisé dans notre environnement professionnel. Cependant, un autre aspect est tout aussi crucial, la reconnaissance interne. Trop souvent, nous minimisons nos réussites, les considérant comme anodines ou allant de soi. Nous normalisons des accomplissements qui étaient pourtant loin d’être faciles à atteindre. Une fois un défi surmonté, il est tentant de passer rapidement à autre chose, en oubliant les efforts, l’énergie et même les obstacles surmontés pour y arriver. Or, en agissant ainsi, nous ne prenons pas la mesure de notre progression et de notre persévérance. Nous minimisons notre travail en réduisant le succès à une simple tâche cochée sur une liste. Problème réglé. Suivant… Mais est-ce vraiment ce qu’il faut faire ?
Ce sera le sujet d’un autre blogue, car il est essentiel. Si nous attendons que les autres reconnaissent la qualité de notre travail, ne devrions-nous pas d’abord prendre le temps de le reconnaître nous-mêmes ?
Le prix de la discrétion
S’abstenir de mentionner ses réalisations peut donner l’impression d’un contentement envers le statu quo ou d’une préférence pour l’anonymat. L’invisibilité peut sembler rassurante, mais à quel prix ?
Des occasions manquées pour des promotions et des défis professionnels. Lorsque les décideur·euses ne perçoivent pas pleinement l’ampleur de votre travail, ils et elles peuvent supposer que vous n’êtes pas prêt·e ou intéressé·e par de plus grandes responsabilités. Cela signifie que d’autres, parfois moins qualifiés, obtiennent les opportunités qui auraient pu être les vôtres.
Des collègues ou des supérieurs qui s’attribuent le mérite de votre travail : si vous ne revendiquez pas vos succès, quelqu’un d’autre pourrait le faire à votre place. Les idées que vous partagez en réunion peuvent être reprises par d’autres, comme si elles leur appartenaient, vous laissant frustré·e et mis·e de côté pendant qu’ils et elles récoltent les honneurs. (Soyons honnêtes, il y a toujours cette personne qui, comme par hasard, « avait la même idée » juste après que vous l’ayez exprimée et qui oublie commodément de vous en attribuer le crédit).
Être écarté·e des rôles de leadership en raison d’un manque perçu de « présence », beaucoup de promotions ne reposent pas seulement sur la compétence, mais aussi sur la visibilité. Si vous ne faites pas connaître votre impact, les autres peuvent croire que vous êtes bien là où vous êtes, ou que vous manquez de présence pour assumer des fonctions de leadership. Cela peut entraîner une stagnation de votre carrière, alors que d’autres progressent.
En restant silencieux·se, vous évitez l’inconfort, mais vous limitez aussi votre potentiel. La visibilité n’est pas synonyme d’arrogance ; elle permet plutôt de mettre en valeur vos réalisations afin de poursuivre votre développement professionnel.
Je sais que cela ne semblera pas naturel au début. Sortir de sa zone de confort et plaider en sa faveur demande de l’intention et de la pratique. Si vous n’avez pas l’habitude de mettre en avant vos réussites, il vous faudra un certain effort pour le faire avec confiance et authenticité. Vous devrez peut-être aussi adapter votre approche en fonction de la culture et des personnalités qui vous entourent, afin que votre auto-promotion résonne efficacement.
Comment revendiquer ses réussites dans le développement international ?
De nombreux·euses professionnel·les du développement international hésitent à mettre en avant leurs réalisations, car ils·elles considèrent leur travail comme une mission plutôt qu’un accomplissement personnel. Ce secteur repose fondamentalement sur l’impact, sur l’amélioration des conditions de vie. À cause de cela, l’auto-promotion peut sembler déplacée, voire contraire à l’éthique, comme si mettre en lumière des contributions individuelles diminuait l’effort collectif ou détournait l’attention de la mission elle-même.
Contrairement aux milieux corporatifs, où le succès se mesure en chiffres de ventes ou en parts de marché, la réussite en développement international se mesure en vies améliorées et en infrastructures essentielles mises en place. Dire qu’un programme éducatif a augmenté les taux d’alphabétisation ou qu’un meilleur réseau routier facilite l’accès aux marchés n’a rien d’une vantardise, c’est une façon de démontrer l’efficacité et la responsabilité des actions mises en œuvre.
Cela crée cependant une tension, car beaucoup estiment que leur rôle est avant tout d’exécuter et de garantir l’impact, plutôt que de mettre en avant leur contribution à ces réussites. Cette mentalité renforce l’idée que l’humilité doit primer sur la visibilité. Or, si l’humilité est une valeur essentielle, elle ne doit pas se faire au détriment de la reconnaissance, tant pour les individus que pour les initiatives qu’ils·elles portent.
Rendre les réussites visibles n’a rien à voir avec une quête de gloire personnelle. C’est un levier essentiel pour garantir que les programmes efficaces obtiennent l’attention, le financement et le soutien politique nécessaires pour être étendus et pérennisés.
Stratégies concrètes pour rendre votre travail visible sans vous renier
Comment mettre en valeur votre travail sans avoir l’impression de vous vanter ou de chercher l’attention ? Comment le faire de manière authentique, en accord avec vos valeurs ?
Voici quelques idées, mais il n’est pas nécessaire de les appliquer toutes. Certaines conviendront mieux que d’autres selon les situations. Concentrez-vous plutôt sur celles qui vous semblent les plus naturelles. L’essentiel est de présenter vos succès d’une manière honnête et en harmonie avec ce que vous êtes.
Ne comptez pas sur les autres pour le faire à votre place. Parfois, un·e collègue, un·e gestionnaire ou un·e superviseur vous mettra en avant et vous donnera le crédit que vous méritez, et c’est tant mieux. Mais cela doit être un bonus, pas une stratégie. L’objectif est de s’assurer que vos contributions ne passent pas inaperçues ni ne soient effacées. Prendre en charge votre visibilité ne signifie pas rechercher les éloges, mais garantir que votre travail soit reconnu et valorisé.
1. Passer de « l’auto-promotion » à la « promotion du travail »
Prenez un moment pour évaluer vos récentes réalisations et pour reconnaître leur impact. Comprendre comment votre travail contribue aux objectifs plus larges vous aidera à en parler avec assurance. Posez-vous la question, « Mon travail s’est-il démarqué ? Est-il allé au-delà des attentes habituelles ? »
Discutez avec votre superviseur. Si vos efforts exceptionnels passent inaperçus, abordez le sujet directement. Bien sûr, certain·es superviseur·es seront plus réceptif·ves que d’autres.
Il est important de se concentrer sur les résultats et l’impact plutôt que sur soi-même : « Voici ce que nous avons accompli » au lieu de « Voici ce que j’ai fait ».
Partagez vos succès sous forme de leçons apprises pour votre équipe ou votre organisation.
2. Ce n’est pas seulement une question de comment, mais aussi de quand
Le moment où vous mettez en avant votre travail est essentiel. Lisez la pièce et identifiez le bon contexte, que ce soit une évaluation de performance, une réunion d’équipe ou une conversation informelle avec la direction. Soyez attentif·ve aux dynamiques en cours et alignez votre message avec les priorités du moment pour maximiser votre impact.
3. Documenter et partager ses réussites
Garder une trace de vos réalisations évite qu’elles ne soient oubliées et vous permet de les présenter avec assurance au moment opportun. Peggy Klaus recommande de tenir un brag book de vos accomplissements. Avec mes client·es, je parle plutôt d’un journal de succès. C’est un moyen de ne pas minimiser l’effort et l’impact de votre travail et de repérer des tendances de progression au fil du temps.
Laissez une trace écrite qui renvoie à vous et à votre contribution.
Profitez des rencontres régulières avec votre gestionnaire pour mettre en avant vos avancées.
Proposez de présenter les résultats de vos projets lors des réunions d’équipe ou des conférences.
4. Prendre la parole en réunion
Entraînez-vous à partager vos opinions dès le début, au lieu d’attendre la fin.
Posez des questions pertinentes pour vous positionner comme un·e partenaire de réflexion.
5. Construire un écosystème de visibilité
Valorisez les contributions des autres et encouragez un soutien mutuel.
Développez des relations avec des sponsors, ces personnes qui peuvent défendre votre travail lorsque vous n’êtes pas dans la pièce.
6. Utiliser les plateformes numériques pour partager votre expertise
Utilisez LinkedIn ou les outils de communication interne pour partager des réflexions, des articles ou les résultats de vos projets.
Participez à des panels, des webinaires ou écrivez des blogues sur votre domaine d’expertise.
👉🏽 Cette semaine, prenez un moment pour partager une réussite, qu’elle soit petite ou significative. Vous pouvez la publier, la présenter ou simplement la mentionner lors de votre prochaine réunion. Votre travail compte, et votre impact mérite d’être reconnu. Plus vous vous entraînerez à partager vos contributions, plus cela deviendra naturel.