Dormir pour mieux mener
Par Sophie Makonnen
Nous passons environ un tiers de notre vie à dormir, non pas par paresse, mais parce que ce tiers soutient les deux tiers !
Une fonction méconnue ?
Nous avons souvent abordé distractions, d’une gestion du temps qui gagnerait à être améliorée et du manque de motivation, qui sont des sujets que j’ai déjà abordés dans mon blogue. Cependant, nous minimisons généralement les effets négatifs du manque de sommeil et de l’épuisement, qui sont pourtant deux facteurs clés entravant notre concentration, notre résilience et notre prise de décision éclairée, en particulier lorsqu’il est question de diriger une équipe.
Dans le monde du travail, le sommeil passe souvent au second plan. Nous en reconnaissons l’importance en théorie, mais en pratique, c’est l’une des premières choses que nous sacrifions. Que ce soit pour rattraper les courriels en retard, préparer la journée suivante ou simplement trouver un moment pour se détendre, nous sacrifions le sommeil au nom de la responsabilité, de la productivité ou de la disponibilité. Il nous arrive même parfois d’être fier·ère·s du peu d’heures de sommeil que nous avons eues. Les nuits tardives et écourtées peuvent devenir partie intégrante du récit que nous nous faisons, et que nous partageons avec les autres, comme une preuve de notre engagement et de notre dévouement.
De nombreuses études ont documenté les effets du manque de sommeil. Il suffit d’inscrire « effets du manque de sommeil » dans un moteur de recherche pour s’en rendre compte. Le message est clair : quand nous manquons de sommeil, nous perdons notre avantage. Notre pensée ralentit, notre patience diminue et notre jugement se brouille. Ces effets s’accumulent.
Le sommeil n’est pas l’opposé de l’ambition, c’est ce qui la soutient. Lorsque nous sommes bien reposé·e·s, nous pouvons réfléchir avec clarté, prendre des décisions éclairées, réguler nos émotions et offrir une contribution significative grâce à un cerveau régénéré, propice à la concentration, à la créativité et à la pleine présence.
Ce que le sommeil réalise, les heures éveillées sont incapables de l’accomplir
Le sommeil va bien au-delà d’une simple pause dans une journée. C’est un moment essentiel pendant lequel le corps et le cerveau travaillent en silence, chacun à leur manière. Il fait partie de notre cycle naturel, tout comme ces jours où nous ralentissons et laissons les choses se dérouler à leur propre rythme.
Le sommeil ne modifie pas seulement notre état d’esprit, il agit aussi directement sur le cerveau. Pendant le sommeil profond, le cerveau élimine les toxines, mémorise les souvenirs et trie les informations. Cela facilite la mémorisation de ce que nous avons appris et favorise une pensée claire au réveil. Le sommeil paradoxal, pendant lequel nous rêvons, est essentiel pour résoudre des problèmes et réguler les émotions. C’est pourquoi une nuit de sommeil réparatrice peut faciliter toutes les tâches.
Le corps retire également de grands bienfaits du sommeil. Ce dernier renforce notre système immunitaire, restaure notre énergie et répare nos muscles ainsi que nos tissus. Il ne sert pas seulement à récupérer après une longue journée, mais contribue aussi au bon fonctionnement général de notre organisme. Lorsque nous ne dormons pas suffisamment, nous ne sommes pas seulement fatigué·e·s : nous devenons irritables, nous perdons notre concentration et nous risquons l’épuisement.
Compte tenu de tout ce que le sommeil accomplit, tant sur le plan physique que mental, il vaut la peine de se demander pourquoi nous continuons à le traiter souvent comme s’il n’avait aucune importance.
Sommeil et leadership : pourquoi c’est important
De nombreuses études démontrent que favoriser le repos n’est pas seulement une question de soins personnels, mais qu’il s’agit aussi d’un moyen efficace pour améliorer les performances au sein d’une organisation. (https://www.jointhecollective.com/article/the-science-of-leadership-and-sleep/)
· Une étude menée par la Johns Hopkins Carey Business School (https://carey.jhu.edu/articles/news-research/good-managers-conscious-sleep-leadership-study-shows ) présente le concept de « leadership du sommeil ». Les personnes en position de direction qui accordent la priorité à un meilleur sommeil, tant pour elles-mêmes que pour leur équipe, constatent souvent une hausse du moral, une amélioration de la prise de décision et une diminution du nombre d’erreurs. Une nuit de sommeil de piètre qualité affecte négativement la mémoire, la concentration et la prise de décision. Un déficit mineur de sommeil entrave la concentration et ralentit le processus cognitif. À long terme, cela peut également nuire à l’apprentissage, à la créativité et à la régulation des émotions, qui sont toutes essentielles pour une performance optimale au travail.
· Une étude du Center for Creative Leadership (https://www.ccl.org/articles/leading-effectively-articles/tired-at-work-a-roadblock-to-effective-leadership) révèle que le manque de sommeil nuit à l’intelligence émotionnelle, à la prise de décision et à la capacité des leaders à collaborer efficacement avec autrui. Ces compétences sont pourtant cruciales en matière de leadership.
· L’article « Sleep Well, Lead Better » de la Harvard Business Review (https://hbr.org/2018/09/sleep-well-lead-better? ) publié dans la Harvard Business Review indique que le sommeil ne profite pas uniquement aux personnes qui occupent des postes de leadership. En effet, lorsque ces derniers ne dorment pas assez, cela affecte négativement la qualité des décisions prises et la performance globale de l’équipe. En tant que leader, vos habitudes influencent la culture de votre équipe. Par conséquent, si vous souffrez de fatigue due à un manque de sommeil, n’en faites pas l’éloge. Votre équipe pourrait interpréter cela comme une norme à suivre. De plus, si vous devez travailler tard, pensez à programmer l’envoi de vos messages pendant les heures de bureau habituelles. Cela montrera à votre équipe l’importance de maintenir des limites saines plutôt que de sacrifier son sommeil pour démontrer son engagement.
Comment dormir assez?
Des ajustements minimes peuvent entraîner des résultats remarquables. Voici trois conseils pratiques pour favoriser un sommeil de qualité et surtout réparateur.
Protégez votre temps
Écoutez votre rythme naturel de sommeil. Il est souvent préférable de se coucher avant d’être complètement épuisé·e. Rester éveillé·e trop tard peut entraîner un regain d'energie qui retarde l’endormissement. Pour favoriser un passage en douceur vers la nuit, adoptez des rituels apaisants tels que baisser l’intensité lumineuse, éteindre les écrans et fermer le livre. Ces gestes simples signalent au corps qu’il est temps de se détendre.
Un sommeil agité reste un signal
S’endormir ne signifie pas nécessairement que vous vous reposez en profondeur. Si vous allez au lit en étant stressé·e, ou si vous avez besoin de caféine pour fonctionner toute la journée, vous dormirez peut-être, mais sans ressentir un véritable repos. Plutôt que de vous sentir frustré·e, considérez ces signes comme des informations utiles. Analysez vos schémas : des pensées qui se bousculent, une respiration superficielle, des épaules tendues. Accueillez-les avec intérêt, sans porter de jugement.
Pourquoi ne pas faire une sieste ?
La courte sieste, également appelée micro-sieste (power nap), devrait être mieux valorisée.
S’endormir pendant ses heures de travail a longtemps été perçu comme un manque d’engagement ou de professionnalisme. Cependant, les recherches démontrent le contraire. Les « micro-siestes » présentent des avantages notables. Elles renforcent les performances cognitives, réduisent les chances de commettre des erreurs et augmentent la résistance.
Au Japon, on parle d’inemuri qui signifie « être présent·e tout en dormant.
La sieste réparatrice est de plus en plus reconnue dans les milieux professionnels. Des entreprises comme Google, Nike ou Ben & Jerry’s offrent des capsules de repos ou des espaces dédiés, vantant les bienfaits d’une pause de vingt minutes.
.Je suis une adepte de la micro-sieste depuis mes années universitaires, il y a quelques décennies ! Un après-midi, à la bibliothèque, mes paupières se sont soudainement alourdies. J’ai capitulé. Sans alarme, sans montre intelligente, juste vingt minutes. Je me suis réveillée l’esprit clair et pleine d’énergie. Ce jour-là, j’ai découvert le bénéfice des micro-siestes. L’intégrer dans la vie professionnelle n’a pas toujours été simple. Dormir à son bureau n’était pas exactement synonyme de performance. Mais, lorsque je peinais à garder les yeux ouverts, je m’y adonnais discrètement. Pouvoir fermer la porte et dire : « Je ne serai pas disponible pendant vingt minutes » aide énormément. Malheureusement, tous les rôles ne permettent pas cette flexibilité.... Le secret ? Ne pas être trop à l’aise (et ne pas se faire surprendre ! 😊). Juste assez de repos pour se régénérer.
Le sommeil : une pause ou un apport nécessaire ?
Et si nous cessions de considérer le sommeil comme une simple interruption de notre travail pour le voir plutôt comme une clé essentielle à notre productivité ? Le sommeil ne se limite pas à la récupération : il nous aide à prendre des décisions éclairées, à réguler nos émotions et à stimuler notre créativité.
Si cette idée vous interpelle, posez-vous les questions suivantes pour ouvrir votre réflexion :
• Quelles idées avez-vous sur le lien entre le sommeil, la réussite et l’échec ?
• Comment votre sommeil (ou son absence) affecte-t-il votre clarté mentale, votre niveau d’énergie et votre patience ?
• Envisageriez-vous le repos comme un geste de leadership, plutôt que comme une pause ou une faiblesse ?
Il ne s’agit pas d’atteindre la perfection. Le sommeil dépasse le simple besoin fondamental : il nous prépare à réfléchir avec intention, à diriger avec discernement et à réagir avec présence.
Huit heures de sommeil ?
Et si la façon la plus naturelle de se reposer ne consistait pas à dormir huit heures d’affilée ?
Des sources historiques suggèrent que les humains suivaient autrefois un rythme différent, réparti en deux phases distinctes de sommeil, séparées par une période de veille calme. Ce mode de repos, souvent appelé sommeil segmenté ou biphasique, n’était pas considéré comme de l’insomnie. La chaîne britannique BBC s’est penchée sur le thème du sommeil dans deux articles : Le mythe des huit heures de sommeil et L’habitude médiévale oubliée de dormir deux fois , on y découvre que ce type de sommeil est mentionné dans des textes littéraires, des journaux intimes et des traditions orales de différentes cultures.
L’éclairage artificiel, la vie urbaine et les horaires de travail fixes ont contribué à imposer l’idée qu’une « bonne nuit de sommeil » devait être ininterrompue. Beaucoup d’entre nous s’y sont adapté·e·s. Mais nos corps, eux, n’ont peut-être pas complètement évolué dans ce sens ? Ces réveils nocturnes ? Peut-être qu’ils ne sont pas un problème à régler, mais plutôt l’expression naturelle de notre rythme biologique. Un message indiquant qu’il faut repenser la notion du sommeil réparateur.
En résumé, le repos est fondamental à un leadership éclairé et à notre renouvellement personnel. Il n’existe pas une seule bonne manière de se reposer : à chacun·e de découvrir ce qui lui convient.
Alors... et si vous faisiez une petite sieste ? 😴
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