La permission de changer d’idée

Par Sophie Makonnen

 

Le courage de reconsidérer

On loue souvent les dirigeants pour leur conviction et leur constance. Mais qu'en est-il de leur capacité à changer d'avis?

Dans la plupart des milieux professionnelles, la force est associée à la capacité de tenir bon, de rester fidèle à ses convictions, d'agir avec détermination et d'aller de l'avant sans hésitation. Nous célébrons les décisions rapides et les orientations claires, oubliant parfois que ces traits de caractère peuvent devenir rigides s’ils sont utilisés à outrance. Ce stéréotype du dirigeant fort laisse peu de place à la remise en question. Dans un tel scénario, une fois qu'une décision est prise, changer de cap peut être considéré comme un signe de  faiblesse, de confusion ou de perte d'autorité.

Or, le leadership ne suit que rarement des lignes tracées d’avance. Les circonstances évoluent. De nouvelles informations apparaissent. Les points de vue s’approfondissent. La capacité de s’ajuster, de faire une pause, de réfléchir et, au besoin, de changer d’avis entre en jeu  et ce n’est pas de l’indécision. C’est du discernement.

La souplesse exige autant de confiance que la conviction, voire parfois davantage. Il faut une certaine humilité pour admettre qu’une position qu’on défendait autrefois ne tient plus la route, et une certaine curiosité pour réexaminer son raisonnement sans se juger. Et si changer d’avis était aussi un acte d’apprentissage?

Comme je l’ai exploré dans Rester présente dand l’incertitude le leadership ne consiste pas à tout savoir, mais à savoir naviguer dans ce qui ne peut pas toujours être connu. Et cela signifie parfois accepter de voir les choses autrement que la veille.

Pourquoi est-il si difficile de changer d'avis 

Avoir l’esprit ouvert est généralement considéré comme une qualité. Nous aimons toutes et tous penser que nous le sommes, n’est-ce pas? Pourtant, combien de fois avons-nous rencontré une personne qui affirme être ouverte d’esprit tout en étant absolument certaine d’avoir raison? J’ai moi-même eu ce genre de conversations. On demande : « Si vous êtes ouvert·e d’esprit, pourquoi ne pas envisager un autre point de vue? » et la réponse arrive rapidement, souvent sous la forme : « Eh bien, pas dans ce cas-là. 

Il est facile de dire que nous sommes ouvert·es d’esprit lorsque le sujet nous semble sûr. Le défi apparaît souvent lorsque quelque chose que nous avons dit ou décidé ne correspond plus. Un léger malaise peut survenir en réalisant que ce qui semblait clair auparavant mérite peut-être d’être reconsidéré.

Une partie de la difficulté réside peut-être dans la visibilité. Une fois qu’une décision a été communiquée, elle devient publique. D’autres peuvent s’y être adapté·es, s’être construit·es autour d’elle, voire l’avoir défendue. La reconsidérer peut donner l’impression de réduire à néant les efforts de tout le monde. Pour les personnes occupant des postes de direction, l’hésitation peut être plus forte. Nombre d’entre nous ont appris que l’autorité est liée à la cohérence, que la conviction ne doit pas vaciller. Pourtant, lorsque les circonstances évoluent, rester trop longtemps sur ses positions peut discrètement faire passer la stabilité à la résistance, surtout lorsque le contexte ne soutient plus le choix initial. Dire que l’on a changé d’avis peut sembler risqué pour certain·es et embarrassant de paraître incertain·e. Mais que se passe-t-il si cela traduit en réalité une prise de conscience, le fait de remarquer que les faits, la situation ou nous-mêmes avons évolué, et de s’adapter aux nouvelles circonstances?

Si vous avez déjà participé à une réunion où le plan ne fonctionne manifestement pas, mais où personne ne veut le dire à voix haute, vous connaissez le soulagement qui suit lorsque quelqu’un finit par le faire. Ce qui brise la tension, ce n’est pas la contradiction, c’est l’honnêteté.

 

À quoi ressemble réellement le fait de changer d'avis

  • Changer d’avis se produit rarement en un seul instant ; c’est généralement un changement progressif. Cet ajustement se fait en douceur, à travers des modifications subtiles de notre façon de percevoir les situations, les personnes et nous-mêmes. Il peut commencer par une question persistante ou un malaise diffus, que l’on ignore d’abord, jusqu’à ce qu’il exige notre attention.

    Avec le temps, cette habitude de réévaluation devient une discipline constante, qui permet de garder nos décisions et nos relations ancrées dans la vérité plutôt que dans les apparences.

  • Changer d’avis implique une écoute attentive, ce n’est pas de l’hésitation. En matière de leadership, la remise en question devrait être perçue comme une analyse réfléchie, non comme un signe de faiblesse. Il s’agit de répondre à de nouvelles informations et de reconnaître quand les solutions précédentes ne fonctionnent plus. L’objectif n’est pas de défendre une position, mais d’apprendre du moment présent.

    Quelqu'un a un jour cité cette phrase, peut-être attribuée à tort à Einstein, selon laquelle la définition de la folie est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. C'est un peu un cliché dans les cercles de gestion, mais cela me fait toujours sourire, surtout parce que c'est exactement ce que nous faisons souvent. Nous répétons des stratégies qui ne fonctionnent plus, nous nous y accrochons parce que changer d'avis nous semble plus risqué que de continuer. Je me suis rendu coupable de cela plus d'une fois.  En réalité, la répétition n'est pas le problème.  La répétition permet d'acquérir la maîtrise, la discipline et la confiance.  Le problème survient lorsque nous continuons à répéter ce qui ne convient plus, en espérant que nos efforts suffiront à redresser la situation.  Ce qui distingue la persévérance de l'entêtement, c'est la volonté de faire une pause et de se demander : « Est-ce que cela fonctionne toujours ? Dois-je changer d'avis ? » Changer d'avis ne garantit pas le succès, mais refuser de le faire garantit que vous continuerez à obtenir le même résultat, quels que soient vos efforts.

  • Lorsque des personnes en position de leadership changent d’avis avec réflexion, elles inspirent une réflexion collective. Admettre : « J’y repense depuis quelque temps » ou « Je vois les choses autrement maintenant » favorise l’ouverture et la responsabilité partagée. La souplesse venant du sommet crée un climat propice à l’honnêteté au sein de l’équipe.

La confiance et la présence nous aident à percevoir quand un changement est nécessaire. Comme je l’ai exploré dans La confiance en soi : la compétence professionnelle à ne pas sous-estimer la confiance ne réside pas dans l’absence de doute, mais dans la capacité à avancer avec lucidité malgré celui-ci. Et, comme Ne pas perdre de vue le présent nous l’a rappelé, être présent·e tous permet de remarquer le changement au moment où il se produit, plutôt que de défendre ce qui a été. Parfois, l’expérience, la pression ou une nouvelle compréhension révèlent un aspect de la réalité que nous avions pas pris en considération.

Que se passe-t-il après avoir changé d'avis?

Changer d’avis fait partie du leadership. C’est plus une compétence qu’un réflexe. Et cette compétence se développe avec le temps. Bien la maîtriser signifie assumer la responsabilité de ce qui s'ensuit. Les gens remarquent non seulement ce qui change, mais aussi la manière dont ces changements sont communiqués. Une décision est rarement isolée, elle affecté les projets, le travail et la confiance des autres.

Lorsqu’une personne en position de leadership se contente de dire : « Nous changeons de direction », le silence qui suit est souvent rempli d’incertitude. Le contexte compte. Expliquer comment on est arrivé·e à cette nouvelle conclusion, ce qu’on a appris ou observé, aide les autres à rester connectés à l’objectif. Ça leur évite d'essayer de deviner vos motivations. La transparence donne de la cohérence au changement.

Présenté de cette manière, un changement de cap est plus qu’une correction. Il devient une collaboration. Il envoie le message à l’équipe que la réflexion reste la bienvenue, que l’apprentissage continue. Lorsqu’un changement survient sans explication, il semble brusque.

Changer d’avis ne consiste pas seulement à repenser les choses. C’est un acte de leadership. Cela invite les autres à participer à un nouveau regard porté sur la réalité.

Une conviction qui évolue.

Chaque décision reflète un moment précis. Elle témoigne des informations dont nous disposions, des conditions auxquelles nous faisions face et des limites que nous ne pouvions pas encore percevoir. Lorsque ces éléments changent, la clarté doit changer avec eux. Ce n’est pas de l’incohérence, c’est de l’adaptabilité. C’est ce qui donne au leadership son authenticité.

Nous ne dirigeons pas en ayant toujours raison. Nous dirigeons en restant attentif·ves au contexte et aux personnes. Nous restons à l’écoute des signaux qui indiquent qu’il est temps de repenser les choses. Une conviction qui ne plie jamais peut devenir de la rigidité. Une conviction qui évolue devient de l’expérience.

Une grande part du leadership consiste à maintenir cet équilibre. Il faut être suffisamment ancré·e pour agir, et suffisamment souple pour s’ajuster. Lorsque nous changeons d’avis avec ouverture et intégrité, nous montrons que l’apprentissage ne s’arrête pas une fois la décision prise.

 
 

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