L’écoute : La compétence en communication qui en dit long

Par Sophie Makonnen

 

Dans les deux derniers articles, nous avons exploré la communication : comment les conversations peuvent mal tourner, comment les naviguer et les réparer, et comment se préparer à des discussions que l’on sait difficiles. Ces textes avaient pour but d’offrir des outils permettant de communiquer de manière consciente et respectueuse.

Dans ce blogue, je souhaite mettre l’accent sur un aspect crucial, mais souvent négligé, de la communication. Bien que nous l’ayons abordé indirectement auparavant, il est maintenant temps d’approfondir notre compréhension de ce qu’est réellement l’écoute, et de comment la pratiquer intentionnellement. Écouter, ce n’est pas seulement saisir le sens des propos d’autrui ; c’est également accroître leur sentiment de confiance. Quand une personne se sent véritablement entendue, sa confiance grandit. Plus vous deviendrez une meilleure personne à l’écoute, plus vous renforcerez votre assurance dans vos capacités à diriger, à communiquer et à prendre des décisions.

La plupart d’entre nous croient savoir écouter.  Souvent, c’est parce que nous restons silencieux·euses, que nous évitons d’interrompre et que nous acquiesçons de la tête. Ces comportements font certes partie de l’écoute, mais ce n’est pas tout. La véritable écoute est active, intentionnelle et bien plus complexe que ce que l’on pense.

 

L’écoute active

Selon l’article de Tijs Besieux intitulé « A Simple Way to Boost Your Listening Skills », la plupart des personnes (75 %) seraient distraites, inattentives ou préoccupées quand elles écoutent. Seulement 2 % de la population mondiale ont reçu une formation officielle sur l’art d’écouter efficacement. De plus, bon nombre d’organisations consacrent encore 80 % de leurs efforts de communication à parler, et non à écouter. Il n’est donc pas surprenant que, même dans des milieux de travail qui se veulent collaboratifs et inclusifs, de nombreuses conversations laissent les gens insatisfaits.

Pourtant, bien écouter est l’un des moyens les plus efficaces pour favoriser la compréhension, pour établir des liens et pour soutenir une collaboration véritable.

Parfois, notre expérience et nos connaissances peuvent orienter les autres vers une solution. Partager nos connaissances, indiquer le chemin à suivre et transmettre les leçons apprises peut être inestimable. Cependant, il y a une différence entre soutenir quelqu’un et prendre en charge son problème : entre montrer la voie et porter le fardeau à sa place.

D’autres fois, ce qui est nécessaire, c’est que nous puissions écouter avec intention, sans jugement ni interruption, en créant un espace où la personne peut trouver de la clarté. Ce type d’écoute démontre que l’on fait confiance à la capacité de l’autre de réfléchir, de résoudre ses problèmes et de prendre en charge son propre chemin.

L’écoute est également importante, car elle nous permet de percevoir les messages sans les filtrer à travers nos propres hypothèses, expériences et perspectives. C’est une tendance naturelle, mais c’est aussi de cette manière que des malentendus et des incompréhensions peuvent surgir. Lorsque nous n’arrivons pas à comprendre le point de vue d’une personne, nous risquons de lui répondre selon notre propre interprétation de son message et non selon son intention. C’est souvent là que commence le conflit, non pas à cause d’un désaccord, mais parce que nous ne nous sommes pas véritablement écoutés.

 

Le but de ce blogue n’est pas de faire de vous une personne qui sait écouter (je ne sous-entends pas que vous ne le faites pas correctement déjà), mais plutôt d’approfondir votre compréhension de ce que signifie vraiment bien écouter et de partager des stratégies, validées par la recherche, que vous pouvez appliquer.

 

Dans leur article « How to Become a Better Listener », Robin Abrahams et Boris Groysberg décrivent l’écoute active comme possédant trois aspects fondamentaux :

 
  • Cognitif : prêter attention à toutes les informations, explicites et implicites, que vous recevez de l’autre personne, les comprendre et les intégrer.

Exemple: Lors d’une séance de planification de projet, Tara se concentre d’abord sur les indicateurs quantitatifs et souhaite vivement suivre les résultats. Mais en écoutant plus attentivement les observations de Rose sur le terrain, elle capte des informations subtiles qui ne sont pas reflétées dans les données — comme les préoccupations soulevées par les partenaires communautaires. En intégrant à la fois ce que Rose exprime directement et ce qui est sous-entendu entre les lignes, Tara contribue à dresser un portrait plus complet pour leur rapport.

 

Émotionnel : rester calme et compatissant·e durant la conversation, en gérant notamment les réactions émotionnelles que vous pourriez ressentir.

Exemple : Lors d’une discussion tendue au sujet des échéanciers d’un projet, Tara ressent la pression du siège social pour livrer rapidement, tandis que Rose s’inquiète de la préparation des communautés. Plutôt que de se refermer sur elle-même ou de devenir sur la défensive, Tara reconnaît son stress tout en restant présente. En parallèle, Rose prend conscience des défis auxquels Tara fait face et choisit de demeurer curieuse, en lui demandant : « Quel est, selon toi, le plus grand risque si nous ajustons l’échéancier ? » Leur régulation émotionnelle partagée ouvre un espace propice à l’émergence d’une solution plus réfléchie.

 
  • Comportemental : montrer son intérêt et sa compréhension par ses gestes et ses paroles.

Exemple : Rose écoute pendant que Tara explique les exigences non négociables du bailleur de fonds, alors qu’elles réfléchissent ensemble aux prochaines étapes. Rose hoche la tête, maintient un contact visuel soutenu et dit : « Je comprends que les délais sont serrés et que tu es préoccupée par la possibilité de perdre le financement si nous prenons du retard. Voyons comment répondre à ces exigences tout en intégrant les perspectives locales. » Se sentant écoutée, Tara adopte l’approche de Rose et veille à ce que les contributions de celle-ci soient reconnues dans le plan qu’elles proposent ensemble.

 

Ces trois aspects nous aident à évoluer au-delà de la simple écoute des mots vers une véritable compréhension de l’autre.

 

Devenir une personne plus attentive : astuces pour améliorer sa capacité d’écoute

 

Comme toute compétence, l’écoute se développe avec de la pratique, de la réflexion et de l’engagement. Pour améliorer votre écoute, voici quelques conseils utiles :

  • Accordez toute votre attention. Éteignez votre téléphone, mettez votre ordinateur en veille et évitez les distractions. Si vous n’êtes pas capable de donner toute votre attention sur le moment, il est préférable de reporter la discussion plutôt que de l’écouter superficiellement.

  • Restez présent·e. Ne prévoyez pas votre réponse pendant que l’autre personne s’exprime. Concentrez-vous sur l’écoute plutôt que sur ce que vous direz plus tard.

 La plupart des gens n’écoutent pas avec l’intention de comprendre ; ils écoutent avec l’intention de répondre. (Stephen R. Covey)

  • Maintenez le contact visuel. Regardez votre interlocuteur·rice (même s’il ou elle ne vous regarde pas toujours en retour). Cela montre votre engagement et votre intérêt. Si cela ne vient pas naturellement, dites-le : la transparence favorise la connexion.

  • Évitez d’interrompre. Laissez la personne finir son propos. Ne vous précipitez pas pour partager vos pensées, même si elles semblent évidentes.

  • Suspendez votre jugement. Prenez conscience des pensées critiques qui émergent et mettez-les de côté. Si elles vous distraient, il est tout à fait acceptable de le reconnaître et de demander à votre interlocuteur·rice de répéter. Cela favorise l’honnêteté et la confiance.

  • Ne vous précipitez pas pour proposer des solutions. La plupart des personnes ont avant tout besoin d’être écoutées avant d’être aidées. Si vous avez une suggestion, proposez-la avec délicatesse : « Je me demande ce qui se passerait si tu essayais X ? »

  • Posez des questions pour clarifier votre compréhension. Utilisez-les pour vérifier votre compréhension, et non pour satisfaire votre curiosité. Demandez-vous si cela permettra à la personne en face de vous de se sentir comprise.

  • Reformulez ce que vous avez entendu. Répétez ou paraphrasez les points clés. « Permets-moi de vérifier si j’ai bien compris… » Cela confirme votre compréhension, mais montre aussi à votre interlocuteur·rice qu’il ou elle a été entendu·e.

  • Soyez explicite lorsque vous reformulez. Assurez-vous de reformuler les propos de manière à bien les comprendre : « Je vais reformuler pour m’assurer d’avoir saisi le message. »

  • Soyez attentif·ive aux signaux non verbaux. Le ton de la voix, les expressions faciales et le langage corporel révèlent souvent des émotions que les mots ne transmettent pas. Réagissez avec empathie à ces signaux.

  • Surveillez vos émotions. Restez conscient·e de vos ressentis pendant la conversation. Les émotions fortes peuvent nuire à votre concentration ; reconnaissez-les et recentrez-vous.

  • Prenez le temps d’y réfléchir plus tard. Prenez le temps, après l’échange, de revoir votre écoute. Y a-t-il eu des moments où vous auriez pu poser une question supplémentaire ou creuser un sujet ? La réflexion affine votre vigilance pour la prochaine fois.

 

Écouter pendant des interactions quotidiennes

 

L’écoute attentive n’est pas réservée aux moments où une personne a besoin de soutien ou soulève une préoccupation. Elle se déroule également pendant les échanges de routine, comme les réunions d’équipe, les bilans rapides, les mises à jour de suivi ou les discussions informelles entre collègues. Ces moments passent souvent inaperçus, pourtant ils influencent la manière dont la confiance et la compréhension évoluent au fil du temps.

Lorsque nous écoutons attentivement durant des interactions simples, nous ne faisons pas que recueillir de l’information, nous renforçons le respect, la clarté et les liens. Cela envoie le message que les contributions de chacun·e comptent, qu’il s’agisse de partager des mises à jour sur un projet ou des idées lors d’une séance de remue-méninges. Et quand les gens se sentent écoutés durant les conversations du quotidien, ils sont plus enclins à s’engager ouvertement lorsque des sujets complexes ou sensibles surviennent.

 

L’écoute attentive se manifeste de la manière suivante dans ces moments quotidiens :

  • Chaque interaction est une opportunité de renforcer la confiance. Les mises à jour rapides et les réunions routinières peuvent également être utilisées pour montrer du respect et de l’intérêt. Maintenir une écoute active, que ce soit pendant un résumé de cinq minutes ou une conversation informelle, transmet le message que les contributions des autres sont précieuses.

  • Vérifier la compréhension mutuelle, plutôt que simplement transmettre des données. Les malentendus surviennent souvent parce qu’on suppose avoir bien compris. Prenez le temps de résumer ce qui a été convenu ou posez des questions pour clarifier : « Pour éviter tout malentendu, je propose que nous poursuivions en… ».

  • Reconnaître les contributions, même les plus petites. Des commentaires simples, tels que « C’est pertinent » ou « Bonne idée, ajoutons cela », indiquent que vous écoutez et que vous appréciez les contributions des autres. Vous ne vous contentez pas d’examiner l’ordre du jour.

 

Faites un suivi pour montrer votre intérêt. Lorsqu’une personne partage une idée, exprime une préoccupation ou donne une mise à jour, assurez-vous de revenir sur le sujet plus tard. Cela peut être aussi simple que : « J’ai parlé à l’équipe après ta suggestion d’hier. Nous ajustons le plan. » Ce type de suivi renforce la confiance : les personnes savent qu’elles sont entendues et que leur voix a un impact.

 

L’écoute dans le contexte des organisations internationales

 

L’écoute est une compétence essentielle en toute circonstance, mais elle devient encore plus cruciale dans les organisations internationales. En effet, travailler avec des cultures, des langues et des fuseaux horaires différents rend l’écoute intentionnelle et inclusive d’autant plus importante.

 
  • Les différences linguistiques font que, parfois, ce qui n’est pas dit est aussi important que ce qui est exprimé. Certaines choses peuvent être perdues lors de la traduction : un mot ou une expression peut involontairement prêter à confusion, blesser ou faire rire. Une écoute attentive permet de déceler des préoccupations ou des idées non exprimées. Clarifier les intentions permet d’éviter les malentendus.

 
  • Les normes culturelles influencent la manière de communiquer des gens, qu’il s’agisse de leur aisance à exprimer un désaccord, de leur rapport au silence ou de leur perception du moment opportun pour prendre la parole. Écouter avec humilité culturelle crée un espace dans lequel des voix diverses peuvent s’exprimer selon leurs propres termes.

 
  • La communication virtuelle — appels vidéo, décalages temporels et connexions Internet instables — ajoute des obstacles à l’écoute authentique. Cela exige de la patience et un effort conscient pour rester engagé·e.

 
  • Des perspectives et des pressions différentes : comprendre les rôles diversifiés au sein des organisations internationales est fondamental. Par exemple, les équipes sur le terrain travaillent souvent en contact étroit avec les communautés, les partenaires gouvernementaux ou d’autres bénéficiaires, et possèdent une connaissance concrète des réalités et des défis d’implantation. Le siège social, quant à lui, est responsable de la gestion des attentes des bailleurs de fonds, des engagements politiques et des objectifs stratégiques. Écouter les contextes respectifs de chacun·e permet de combler le fossé entre les besoins opérationnels et les priorités institutionnelles, réduisant ainsi les malentendus et favorisant le respect mutuel.

 

Lorsque nous écoutons attentivement dans les organisations internationales, nous :

Acquérons des informations essentielles auprès de collègues qui sont au plus près du terrain, ce qui mène à des décisions plus éclairées et adaptées au contexte.

 
  • Garantissons que les décisions reflètent les réalités vécues par les communautés, les gouvernements ou les parties prenantes que nous souhaitons servir, plutôt que des hypothèses ou des perspectives éloignées.

  • Amplifions les voix marginalisées. Veillons à ce que les membres de l’équipe issu·es de milieux sous-représentés se sentent entendu·es et inclus·es.

  • Bâtissons la confiance à travers des équipes et des groupes de parties prenantes diversifiés. Encourageons le dialogue ouvert et une collaboration plus approfondie.

 

L’écoute n’est pas passive : c’est un choix actif de se concentrer sur la compréhension. C’est essentiel pour réaliser l’équité, l’inclusion et un impact significatif dans les équipes mondiales et les environnements de développement international.

 

Réflexion sur l’écoute et le leadership

 

De nombreuses personnes avec qui je travaille et beaucoup d’entre vous qui lisez ceci sont des personnes d’action. Elles prennent des décisions, gèrent des équipes, résolvent des problèmes et obtiennent des résultats. Écouter ne signifie pas se mettre en retrait ni ralentir ; il s’agit plutôt d’un choix conscient de consacrer du temps à une pensée approfondie, à une connexion authentique et à une prise de décision éclairée.

J’en sait quelque chose.  En effet, dans ma carrière antérieure, mes forces étaient évidentes : mes connaissances, mon expérience, ma capacité à gérer des équipes et à fournir des solutions. J’étais souvent celle qui trouvait la solution, qui naviguait dans la complexité et qui cherchait à obtenir des résultats positifs pour tout le monde.

Mais, lorsque je suis devenue coach, tout a changé. Mon rôle n’était plus d’apporter une expertise technique ni de diriger la recherche d’une solution. C’était être présente et faire confiance à l’autre pour qu’il - elle trouve ses réponses. Je ne cherchais plus à réparer quoi que ce soit. C’est à ce moment-là que j’ai véritablement appris à écouter.

J’ai réalisé que l’écoute ne consiste pas à faire moins, mais à être présent d’une manière différente. C’est ralentir suffisamment pour percevoir ce qui est important, pour agir avec plus de clarté, de confiance et de respect envers ceux qui nous entourent.  Je réalise maintenant que j’écoutais déjà avec soin… mais qu’il restait une corde sensible que je n’avais pas encore tout à fait touchée

 

Écouter véritablement ne génère pas seulement de la compréhension : elle engendre la confiance nécessaire pour diriger, collaborer et prendre des décisions éclairées.

 

Il n’est pas nécessaire d’occuper une position hiérarchique élevée pour écouter comme un leader. En développant cette compétence dès maintenant, vous montrez votre potentiel de leader, quelqu’un qui guide avec audace, empathie et sagesse.

 

« Lorsque tu parles, tu ne fais que répéter ce que tu sais déjà. Mais si tu écoutes, tu peux apprendre quelque chose de nouveau. » — Dalaï-Lama.

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